Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - XXème siècle

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mercredi, novembre 9 2011

L'Invention de Morel - Adolfo Bioy Casares (Argentine)

La Invención de Morel Traduction : J. P. Mourey

Extraits

Personnages

Court roman qui n'atteint pas les cent-trente pages, "L'Invention de Morel" s'inspire d'un fantastique à la H. G. Wells ou encore à la Jules Verne, celui du "Secret de Wilhelm Störitz." Mais sous l'argument fantastique, perce une réflexion complexe sur l'homme et la liberté.

Le narrateur, qui fuit on ne sait quel régime policier - quelques allusions à Caracas font penser au Vénézuéla - s'est réfugié sur une île que lui a désignée un Italien vivant à Calcutta. Sans nom, l'île a été abandonnée par ceux qui y ont bâti un musée, une piscine et une sorte de complexe hôtelier. A quelle époque ? Sans doute dans les années vingt, très vague point de repère temporel offert en pâture aux puristes du détail. Les légendes - mais sont-ce bien des légendes ? - ont alors pris leur essor : une "peste" étrange, plus proche de la lèpre ou de la gangrène que de la peste d'ailleurs, affligerait tout ce qui ose demeurer dans l'île, qu'il s'agisse de simples voyageurs ou des animaux et de la flore qu'elle abrite.

Mais le narrateur en est arrivé à un tel point de rejet - et de peur - de la société, qu'il met tout en oeuvre pour atteindre l'île et s'y cacher. Bientôt, à sa profonde stupeur, il constate que, contrairement à ce qu'on lui en a dit, l'île est habitée par une vingtaine ou une trentaine de personnes, hôtes et amis d'un certain Morel. Parmi ces gens, Faustine, une belle femme dont Morel paraît amoureux, va régulièrement se promener sur les rochers, charmant peu à peu le narrateur. Celui-ci fait tout pour attirer son attention mais, curieusement et en parfait accord avec l'attitude des autres "invités", Faustine ne le voit pas - un peu comme s'il lui était invisible ...

Aux efforts courageux du narrateur pour tenter de rationaliser son aventure, succède sa chute subtile et lente dans la folie. De bout en bout, le lecteur n'a, bien sûr, que le point de vue du narrateur pour se faire sa propre idée de la situation. Les réflexions pertinentes succèdent aux gestes fous, voire grotesques - comme la création de ce parterre de fleurs destiné à proclamer au grand jour l'amour du malheureux envers Faustine et devant lequel elle passe, là encore, comme s'il n'existait pas ...

Mais l'histoire faussement fantastique est aussi prétexte à une réflexion sur la place de l'individu dans la société, sur le droit de pensée et de conscience qu'elle lui laisse et sur les recours qu'elle lui autorise lorsque, justement, elle lui dénie ces droits. Le bilan final est peu réjouissant : Bioy Casares ne voit que la folie comme seul exutoire au refus de se fondre dans la norme. A moins que la fin de son héros, très symbolique, n'ouvre sur une vie désincarnée et à jamais libre, loin d'un corps abandonné en un peu réjouissant sacrifice.

Le propos, complexe, est traité avec une élégante simplicité. Bioy Casares adopte un style réaliste, sans aucune digression, pour évoquer une question morale et philosophique qu'on n'est pas près de résoudre. A ne réserver qu'aux inconditionnels.

dimanche, octobre 10 2010

Rhum Express - Hunter S. Thompson

The Rum Diary Traduction : Bernard Cohen

Merci aux Editions Gallimard qui, en partenariat avec Babélio, nous ont gracieusement permis de découvrir "Rhum Express."

Ce livre, je l'ai dévoré en un après-midi. Pourtant - oserai-je l'avouer ? - dans la liste que j'avais choisie parmi les exemplaires proposés, il me tentait bien moins par exemple que "Kornwolf" de Tristan Egolf. Pauvre sotte que j'étais ! Sans la bienveillance du grand dieu des Scribes, je serais passée à côté d'un texte dont, s'il appartenait à notre espèce, on dirait qu'il possède une incroyable présence.

Non par le style, plus littéraire certes qu'on pouvait s'y attendre mais sans plus puisque Thompson ne se démarque pas encore ici par la férocité de sa griffe. Encore moins par l'histoire, surtout envisagée de loin, dans un résumé de quatrième de couverture. Grosso modo, il y est question d'un journaliste free-lance qui, sur un coup de tête et parce qu'il a envie de voir du pays, accepte un poste à Porto Rico, au sein d'un journal américain qui commence à être mangé aux mites. De récit de beuveries au rhum blanc en rapports de magouilles minables, il raconte l'année qu'il a passée dans la chaleur des Caraïbes et les expériences - limitées compte tenu de la situation - qu'il y a vécues.

Oui, tout cela est bien banal. Mais ...

Mais il y a Hunter S. Thompson.

Sous sa plume, Porto Rico prend des airs de gros fruit à demi pourri et très satisfait de l'être, les Etats-Unis affichent, avec une fatuité de dindon, leur volonté de colonisateurs sans complexes, Paul Kemp, le narrateur soit-disant paumé, se révèle intelligent et volontaire alors que son collègue déjà sur place, le solide Yeamon, ne va pas tarder à mettre sur la place sa nature d'authentique tête brûlée, la rédaction du "Daily News" se transforme en un exotique panier de crabes à l'agonie, les autochtones avancent comme des ombres indifférentes ou hautement malveillantes, le rhum trouble l'esprit ou le remet à flots, la chaleur moite des Caraïbes vous dégouline dans le dos et "Rhum Express" s'affirme comme un roman très, très prenant.

En le lisant, on songe à Malcolm Lowry et à "Au-dessous du volcan", l'un des plus grands romans qui aient jamais été écrits sur le mal de vivre, la solitude intérieure et leurs conséquences, l'angoisse et le ou les addictions censées la combattre. Mais si l'auteur britannique est plus flamboyant, plus lyrique - et moins cynique - l'Américain, lui, vit la dépendance à l'alcool comme un parcours initiatique et non comme une volonté autodestructrice. Thompson reste lucide et ne s'apitoie pas. Le cynisme total qui est le sien et que maîtrisait si peu Lowry, lui sert de garde-fou. Le vide l'attire, on n'en doute pas un seul instant et il n'en fait pas mystère, mais il parvient toujours à empêcher la face la plus sombre de lui-même d'y sombrer. On l'entend bien penser "A quoi bon, finalement ?" mais une curiosité qu'on peut qualifier d'extraordinaire, d'inhabituelle même, le pousse à dépasser ce raisonnement trop simple. Au-delà des cuites au rhum dont son ialter ego/i ne conserve que bien peu de souvenirs, le romancier, lui, veut savoir ce qu'est le Vide avant d'accepter de s'y jeter.

... Question qui demeure sans réponse, bien sûr. ;o)

Quoi qu'il en soit, l'acharnement de Thompson à "voir plus loin" donne déjà à ce premier roman une puissance qui fascine et réveille en soi tout un flot de rêves (et de cauchemars) qu'on est étonné et ému de redécouvrir si jeunes, si pleins d'allant, si vigoureux. C'est l'éternel et incompréhensible miracle du conteur-né : le Temps n'est plus, les mots demeurent et le lecteur renaît à lui-même. ;o)

samedi, août 28 2010

Une Etoile Brille Sur Mount Morris Park - Henry Roth

Mercy of a Rude Stream : A Star Shines Over Mount Morris Park Traduction : Michel Lederer

Extraits Personnages

Premier volume de la tétralogie autobiographique de l'auteur, "Une Etoile Brille sur Mount Morris Park" est un texte qui déstabilise souvent son lecteur par son étrange construction. En effet, le récit compte btrois types de narration /b: le récit autobiographique impersonnel, à la troisième personne, avec un narrateur omniscient ; le récit autobiographique personnel, à la première personne, dans lequel l'auteur se confond avec son héros, Ira, mais toujours dans un action et un décor qui datent du début du XXème siècle ; et enfin, des sortes d'intercalaires, où l'écrivain évoque sa vie présente, auprès de sa femme, désignée par l'initiale M. Ces dernières pages se présentent en outre comme une forme de dialogue entre Henry Roth et son ordinateur, surnommé "Ecclésias."

A notre humble avis, pareil choix dessert le texte qui alterne des scènes de réelle puissance avec un ergotage assez fastidieux, centré sur une chose mystérieuse que, selon Ecclésias, Henry Roth ferait bien de révéler au plus tôt à ses lecteurs. Et c'est bien vrai : pourquoi ne le fait-il donc pas ? Car, à la fin de ce premier tome, on ne dispose d'aucun élément nouveau sur l'énigme en question.

Le romancier-biographe tourne autour du pot, avance d'un pas pour reculer de trois, énerve prodigieusement son lecteur mais lui permet aussi de comprendre quel enfer d'angoisses dut être son existence. Ce refus de révéler ce que l'on soupçonne assez tôt toucher à sa sexualité lui vient peut-être de sa religion mais là encore, il y a ambiguïté puisque Roth admet assez vite - et sans difficultés majeures - rejeter sa judéité.

A part cela, que retient-on d'"Une Etoile ..." ? Avant toute chose, un tableau réaliste et impressionnant du New-York d'avant 1914, avec ses carrioles de laitiers tirées par des chevaux, ses premières voitures automobiles, ce conflit qu'on croit d'abord si lointain mais qui finira par toucher le Nouveau Monde, et cette masse d'immigrants venus des quatre coins de la Vieille Europe.

Henry Roth dépeint les communautés qu'il a bien connues : sa communauté natale, tout d'abord, des Juifs issus de Galicie, au parler yiddish savoureux (fort intelligemment, un glossaire a été placé à la fin du livre) où les initiés s'amuseront à retrouver mêlés des mots d'origine allemande ; la communauté irlandaise catholique ensuite, où le petit Ira se fera des ennemis mais aussi des amis ; et enfin, à un moindre degré, la communauté noire, cette communauté dont les membres, au retour de la Grande guerre, veulent de plus en plus être tenus pour des citoyens à part entière - ce qui stupéfie tous les bons WASPS avant de commencer à les inquiéter.

Puis l'atypisme, la bizarrerie de caractère du petit Ira. Si Henry Roth a vraiment ressemblé à son ""alter ego"" de papier, avec lequel sa plume le confond d'ailleurs souvent en utilisant le "Je" comme si l'écrivain, perdu dans sa transe, se mettait en pilotage automatique, on conçoit combien sa vie put ne pas être simple. Ira redoute son père - là encore, on perçoit que bien des choses sont passées sous silence - adore sa mère - mais qui ne l'aimerait pas ? - étouffe sous les tentacules de la sa vaste parentèle et pourtant n'aime pas à envisager l'idée qu'un jour, ses membres puissent venir à lui faire défaut, et enfin se cherche une identité qui ne soit pas juive tout en conservant tout ce qu'il peut y avoir de meilleur dans la judéité.

Ergoteur, oui : complexe aussi, hypersensible, touché par la grâce de l'écriture mais accablé en parallèle par la certitude que sa prose n'était pas si terrible que ça, tel nous apparaît Henry Roth à la fin d'"Une Etoile Brille sur Mount Morris Park." Et le lecteur, tout surpris, s'aperçoit que, malgré les tours et détours empruntés, malgré tout ce qui a pu l'agacer et l'ennuyer dans la structure du texte, il s'est pris de sympathie pour cet étrange personnage et désire l'accompagner jusqu'au bout de son périple intime.

Un livre déconcertant mais bien plus riche qu'il n'y paraît. ;o)

dimanche, août 22 2010

Minuit Dans Le Jardin du Bien & Du Mal - John Berendt

Midnight in the Garden of Good & Evil Traduction : Thierry Piélat

Extraits Personnages

Bien que j'aie apprécié cette oeuvre hybride, qui tient à la fois de la chronique et du roman, je m'étonne qu'elle ait pu se maintenir deux-cent-seize semaines d'affilée dans la liste des best-sellers du "New-York Times." Il est vrai que, si le Nord a vaincu le Sud, celui-ci n'en a pas fini de fasciner ses vainqueurs et ce phénomène est à mon avis pour beaucoup dans l'engouement des Américains envers ce livre.

L'auteur, un Yankee qui a vécu huit ans à Savannah, dans l'Etat de Géorgie, est littéralement tombé amoureux de cette ville qui déjà, du temps de Scarlett O'Hara, était considérée comme une ancêtre distinguée par des cités comme Atlanta. Avant tout, c'est cette caractéristique qui semble avoir fasciné John Berendt. Cela et puis la foule de personnages qu'il y a rencontrés et qui, à de très rares exceptions près, appartiennent tous au gratin social de Savannah. L'affaire du meurtre de Danny Hansford par l'antiquaire Jim Williams est noyée dans la masse - à la différence de ce qu'il se passe dans l'excellent film éponyme de Clint Eastwood.

Comme beaucoup de villes et de villages, Savannah prit vie sur les berges d'un fleuve qui lui donna son nom. J'ignore à quel rythme coulent et chantonnent les eaux de la Savannah mais je le suppose, peut-être à tort, paresseux et indifférent au reste du monde. Un rythme similaire à celui de "Minuit ...", livre attachant, instructif et même passionnant pour les amateurs d'Histoire et d'anecdotes, qui a tout d'une flânerie littéraire parmi des personnages plus excentriques les uns que les autres mais aussi un livre qui laisse le lecteur sur sa faim, allez savoir pourquoi.

C'est un monde à part, avec ses codes et ses manies, que s'attache à dépeindre John Berendt. Un monde de privilégiés pour lesquels Appomatox, c'était hier, au pire avant-hier, et qui préfèrent oublier cet "incident", un peu comme les anciens émigrés français, obligés par la marche de l'Histoire, à cohabiter avec les rustres bonapartistes, avaient choisi de faire l'impasse sur la disparition de leur ancien mode de vie.

Dans la Savannah de John Berendt, on peut se demander s'il existe des quartiers pauvres et populeux. Les Noirs qu'on y aperçoit ont fait fortune et parrainent chaque année, eux aussi, un "bal des débutantes." Evidemment, Chablis la Travestie vient y mettre les pieds dans le plat lorsque l'occasion se présente mais Chablis est si originale, si excentrique, qu'elle ne saurait être représentative du lumpenprolétariat noir de Géorgie.

Le lecteur lit un peu comme dans un rêve. A certains moments, il peut même se demander ce qu'il fait là. Bien sûr, certains personnages sont vraiment drôles ou émouvants - parfois les deux. Mais le rythme est trop lent ; la première partie du livre, consacrée au portrait de la société savannahienne, est trop longue par rapport à la seconde - ce qui est un comble car c'est cette seconde partie qui comporte le plus de chapitres ; l'ambiguïté foncière de Jim Williams, si elle est montrée sous tous les angles, n'est pas analysée en suffisance ; quant à la fin, elle est trop neutre, pas assez osée, avançant d'un pas pour reculer de trois.

Bref, un livre bâti de bric et de broc, où la lenteur de la chronique fait de l'ombre à l'action romanesque - mais un livre racheté par quelques uns de ses "héros" et, en particulier, Joe Odom, lady Chablis et Minerva. A lire un jour que vous serez d'humeur paresseuse et assoiffée de ragots sur les riches (et moins riches) familles sudistes. ;o)

samedi, août 21 2010

28 Avril 1926 : Harper Lee

28 avril 1926, Monroeville - Alabama (USA) : naissance de Nelle Harper Lee, dite Harper Lee, romancière.

La petite Nelle se révèle un vrai garçon manqué. Mais c'est aussi une lectrice précoce qui a la chance de compter parmis ses camarades de classe et voisins le jeune Truman Capote, avec lequel elle se lie d'amitié.

En 1944, la Monroe County High School décerne à la jeune fille son diplôme de fin d'études. Forte de ce succès, elle s'inscrit pour un an au Hutingdon College de Montgomery avant de faire son Droit à l'Université de Montgomery. Elle écrit pour plusieurs publications estudiantines et occupe pendant un an le poste de rédactrice en chef du magazine humoristique de son campus, "Rammer Jammer."

Bien qu'elle n'aît pas obtenu sa licence, elle passe un été à Oxford, en Grande-Bretagne, puis s'installe à New-York en 1950. Elle y déniche un emploi de bureau à la Eastern Air Lines, emploi qu'elle abandonne au bout de huit ans pour se consacrer à l'écriture. Elle mène une vie très simple, voire austère, oscillant entre son petit appartement dépourvu d'eau chaude et la résidence familiale de l'Alabama où réside toujours son père.

C'est en 1959 qu'elle apporte à son agent le manuscrit qu'il lui avait demandé de retravailler, une petite nouvelle qui a désormais la taille d'un roman. Il s'agit de "To kill the mockingbird / Ne tirez pas sur l'oiseau-moqueur" qui sort l'année suivante et remporte le Prix Pulitzer.

Apparemment, beaucoup de détails de ce best-seller sont autobiographiques. Comme l'auteur, l'héroïne (surnommée Scout) est la fille de l'attorney d'une respectable petite ville de l'Alabama. Dill, l'ami de Scout, est un double de Truman Capote - et inversement, Harper Lee est le modèle d'un personnage qui apparaît dans le roman de Capote, "Other Voices, Other Rooms."

Après avoir achevé la rédaction de "Ne tirez pas ...", Lee avait accompagné Capote à Holcomb, au Kansas, pour l'aider dans ses recherches sur ce qu'il estimait à l'époque ne devoir lui fournir qu'un article consacré au massacre complètement gratuit d'une famille de fermiers par deux jeunes marginaux. Mais au final, cela donnera "In Cold Blood / De Sang Froid", le meilleur opus de son auteur - et aussi son chant du cygne.

Depuis le succès de "Ne tirez pas ...", Harper Lee n'a accordé que très, très peu d'interviews. Ses apparitions publiques ont toujours été très rares et, à l'exception de quelques essais assez courts, elle n'a plus rien publié. Elle a pourtant travaillé à un second roman, "The Long Goodbye", qu'elle a laissé inachevé. Au milieu des années quatre-vingt, elle a entamé un ouvrage sur un serial killer de l'Alabama mais, là aussi, elle a abandonné son manuscrit sans le terminer.

Désormais âgée de quatre-vingt-quatre ans, Harper Lee partage son temps entre son éternel appartement à New-York et la maison de sa soeur, en Alabama.

Son unique roman publié, qui évoque le cas d'un Noir faussement accusé du viol d'une Blanche dans le Sud des Etats-Unis, et que défend jusqu'au bout le père de l'héroïne, est couramment étudié dans les collèges et les lycées des Etats-Unis. On notera que, dans notre langue, il présente la particularité d'avoir été édité sous trois titres différents : "Quand meurt le rossignol", en 1961, "Alouette je te plumerai" en 1989 et enfin "Ne tirez pas sur l'oiseau-moqueur" en 2005.

Harper Lee sur Nota Bene. ;o)

Zombi - Joyce Carol Oates

Zombie Traduction : Claude Seban

Extraits

Personnages

Roman relativement court puisqu'il ne dépasse pas les cent-quatre-vingt-quatre pages en édition du Livre de Poche, "Zombi" possède le froid et l'impitoyable tranchant d'un couteau de boucher. Je ne dirai pas "scalpel" puisque Oates limite son intrigue au premier meurtre, demeuré impuni parce que non découvert, de son anti-héros, Q ... P ..., et que celui-ci, en dépit d'une préméditation que le lecteur découvre avec une horreur croissante, en est encore à tâtonner pas mal sur la voie du crime en série.

C'est donc un serial killer non pas néophyte mais encore en phase de "formation" que nous décrit la romancière. Les brouillards de son esprit et de son âme sont d'autant plus impénétrables que Q ... P ... est et restera notre seule "voix" de référence. Tient-il un journal ou ne s'agit-il que de ses pensées auxquelles Oates, par l'autorité de l'écrivain, nous donne accès sans autre forme de procès ? On ne le sait pas mais le résultat fascine autant qu'il angoisse.

Non sur l'instant - enfin, certainement pas pour celles et ceux qui s'intéressent au phénomène des tueurs en série et ont déjà lu des ouvrages, documentaires ou pas, sur le sujet - mais une fois le livre refermé et rangé. En effet, "Zombi" ne connaît pas l'espoir.

Q ... P ... n'est pas mauvais, au sens où l'entendent la plupart des religions et le commun des mortels, non, il est simplement fait comme ça : tel un enfant de six ans qui souhaite désespérément qu'on lui offre un jouet bien précis, notre anti-héros veut se procurer une sorte d'esclave lobotomisé qui lui obéirait sans états d'âme. Viscéralement incapable de songer à la douleur infligée par son délire aux uns et aux autres, il ne songe qu'au meilleur moyen d'obtenir ce qu'il désire. Non, répétons-le, il n'est pas mauvais : il n'a aucune notion du Bien, ni du Mal, c'est tout, et à peine celle de l'Interdit, un interdit qu'il ne comprend pas du tout et qu'il cherche simplement à contourner.

Pourtant, il est loin d'être idiot et sait très bien calculer et prévoir, mais toujours en fonction de ce que ces prévisions peuvent lui rapporter - ou lui éviter de fâcheux. Sinon, c'est le néant. Claquemuré dans un monde que les psys peinent à saisir, il avoue lui-même, avec une innocence étrange, ne pas avoir de rêves.

Sur son passé, Oates nous donne le minimum de détails : un père à la carrière de chercheur et d'universitaire exemplaire, une mère attentionnée, une soeur aînée brillante et une grand-mère aimante. "Un peu trop de femmes," entonnera certainement le choeur des psys. Sans aucun doute mais cela n'explique en rien l'abîme qui dort en Q ... P ...

Raffinement suprême, Oates pousse le sadisme envers son lecteur jusqu'à lui instiller goutte à goutte la certitude que, au-delà l'apaisement de ses désirs sexuels, Q ... P ... recherche en l'acte de tuer quelque chose qui nous dépasse tous, lui y compris, et dont il nous est impossible de nous faire une idée claire.

C'est en cela que "Zombi" est terrifiant, d'autant qu'il se termine sur la vision d'un Q ... P ... pour qui le meurtre va devenir une routine. En d'autres termes, le pire est à venir et Joyce Carol Oates vous laisse l'imaginer à loisir.

Du grand art. ;o)

mercredi, août 11 2010

Un Coeur Si Blanc - Javier Marías (Espagne)

Corazón tan blanco Traduction : Alain & Anne-Marie Kéruzoré avec l'aide de l'Auteur Extraits

C'est à deux reprises que je me suis attaquée à la lecture de ce livre : la première fut un échec mais j'allai jusqu'au bout de la seconde. Mon erreur, je m'en rends compte aujourd'hui, fut de ne pas tenter la lecture à voix haute dès le départ. Il est en effet des textes qui veulent - et même exigent - ce type de lecture : "Un Coeur si Blanc", dont le titre s'inspire de "Macbeth", est de ceux-là.

Selon une technique déconcertante et qui en exaspérera plus d'un, Javier Marías prend un fait, plus ou moins important dans son essence mais qui, pour ses personnages, revêt toujours une importance particulière même s'ils ne le savent pas toujours, et, à partir de là, il brosse tout un livre dans un style soutenu, pointilleux sur les détails les plus criants comme sur les plus infimes, qui encense le point-virgule mais abbhore la phrase courte ou simplement moyenne, et qui privilégie avec éclat les phrases longues, cinglées de virgules et formant souvent un paragraphe tout entier, à la Saint-Simon ou à la Proust.

Avec cela, une analyse au microscope des émotions et des pensées des personnages, une maniaquerie dans le choix de la nuance qui rebute, séduit, irrite, fascine et désespère. Un auteur étonnant, par lui-même traducteur émérite et fin connaisseur des mots et de leur pouvoir, qu'il faut lire par doses homéopathiques certes mais qu'il faut lire - enfin, je le crois. ;o)

"Un Coeur si Blanc" est axé sur le malaise indéfini ressenti par Juan, le narrateur, dès son mariage avec Luisa. Tous deux sont interprètes pour les Nations Unies et partent en voyage de noces à Cuba. Dans leur chambre d'hôtel, un soir, alors que Luisa souffre d'une légère indisposition, Juan surprend la conversation de leurs voisins : un couple illégitime, lui marié, elle non, où est évoqué la mort éventuelle de l'épouse, laissée en Espagne. Ce fragment d'une histoire qu'il ne connaît pas ne va cesser de hanter Juan - et partant Luisa - avant de se révéler, d'une façon bien étrange, liée à son propre passé ...

Au début, c'est vrai : le lecteur se demande où l'auteur veut en venir. Mais il finit par se dire très vite qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Et, pourvu qu'il ait la volonté de savoir, il découvre qu'il a eu raison d'insister. Il découvre aussi un auteur tout-à-fait atypique dont la prose et la technique lui laissent, une fois le livre refermé, cette impression, à la fois irritante et agréable, que l'on éprouve en sirotant, par exemple, un jus de citron. ;o)

lundi, août 9 2010

Quatre Générations Sous Le Même Toit - Lao She (Chine) ( III )

Avec un talent rare, Lao She mêle la fiction à l'Histoire. Mais "Quatre Générations Sous Le Même Toit" ne se contente pas d'être une fresque historique, ce roman constitue aussi une analyse minutieuse des diverses réactions que peut provoquer l'occupation de troupes ennemies sur le citoyen le plus banal.

Jamais Lao She ne se pose en juge. Il n'est pas de ceux qui, même s'ils n'ont pas vécu la période concernée, affirment de toute leur hauteur que non, jamais, au grand jamais, ils n'auraient collaboré. Bien au contraire, lui qui, pour l'avoir traversée en long et en large, connaît bien l'occupation japonaise à Pékin, dissèque les motivations les plus profondes des ses héros sans blâmer ceux qui n'ont pas officiellement pris parti pour la Résistance.

Si l'on excepte des personnages comme les Japonais ou Lan Dongyiang, que l'on peut qualifier d'irrécupérablement mauvais, les protagonistes de l'intrigue, qu'ils collaborent, résistent ou se contentent de subir, faute de moyens de se battre, sont présentés sans aucun manichéisme. Parmi eux, la Grosse Courge Rouge pour les collaborateurs et Qian Moyin pour la Résistance se révèlent d'une complexité remarquable, chacun se donnant en quelque sorte la réplique au coeur des mutations engendrées par la guerre et l'occupation.

Plus que la méchanceté pure, Lao She dénoncent avant tout l'égoïsme, la peur et la volonté de préserver son petit confort moral comme les principaux responsables du comportement de ses semblables. S'il s'attarde évidemment à analyser l'attitude de ses compatriotes, il n'en réfléchit pas moins à celle des Japonais. Les militaires sont pour lui sans pitié. Mais, si puissante que soit sa rancoeur personnelle envers l'empire du Soleil-Levant, le romancier laisse néanmoins une petite ouverture, un tout petit espoir à l'avenir du Japon en la personne du vieille Japonaise, devenue voisine de M. Qi, et qui, peut-être parce qu'elle est femme, mère et grand-mère, ne semble nourrir aucune illusion sur l'issue du conflit.

Ecrit avec une passion et une sincérité dont on ne saurait douter, "Quatre Générations Sous Un Même Toit", en dépit d'une fin un peu trop convenue (le Japon a capitulé, le Petit-Bercail accueille ses résistants survivants, le tout manquant de la flamme habituelle peut-être parce que son auteur la rédigea en anglais, pendant sa période d'exil), est l'une des oeuvres-clefs de la littérature chinoise moderne. Pour l'amateur, elle représente également un excellent moyen pour appréhender la deuxième guerre sino-japonaise, sujet rarement traité en Occident - ce qui est d'autant plus à regretter que ce conflit et la tentative d'expansionnisme effréné du Japon en Asie ne sont en fait que l'autre face de la montée du fascisme et du nazisme en Europe. ;o)

Quatre Générations Sous Le Même Toit - Lao She (Chine) ( II )

Pour présenter les effets de la guerre et de l'Occupation, Lao She choisit trois familles principales :

1) la famille Qi dont l'aïeul est fier de pouvoir compter "quatre générations sous un même toit" dans cette ruelle du Petit-Bercail qu'il avait jadis choisie avec tant de soin pour y installer sa famille. Parmi ses trois petits-fils, un seul, Ruifeng, choisira la collaboration. Les deux autres, qu'il s'agisse de Ruixian, l'aîné, qui demeurera au foyer comme soutien de famille, ou de Ruiquan, le cadet, qui s'en ira combattre dans la Résistance, s'opposeront, chacun à sa manière, à l'Occupant.

2) la famille Qian : famille de lettrés, elle sera la plus touchée par la guerre. Quian Moyin, le grand-père poète, sera arrêté et torturé par les Japonais. Relâché, il perdra sa femme et ses deux fils et confiera sa belle-fille enceinte à un parent afin de pouvoir entrer lui aussi en résistance. Pourtant, au début du roman, M. Qian est un pacifiste convaincu, hostile à la guerre et partisan du dialogue.

3) la famille Guan : à l'exception de la concubine You Tongfang, tous ses membres serviront l'Occupant. Mais curieusement, à l'inverse du personnage de Qi Ruifeng, pour qui le lecteur n'éprouve jamais le moindre atome de sympathie, les Guan ne laissent pas indifférent. Force de la nature et pilier de la famille, "la Grosse Courge Rouge", en d'autres termes Mme Guan, dont on ne connaîtra jamais le prénom. Egoïste, hautaine, opportuniste au dernier degré, rusée mais intelligente, dotée d'un réel sens tactique, dévouée à sa fille cadette, souvent pleine de haine et de mépris pour plus faible qu'elle, elle ne cesse de fasciner le lecteur qui vit sa triste fin de manière très ambiguë, avec à la fois une forme de soulagement moral et de très vifs regrets.

Autour d'eux, gravitent différents personnages secondaires, de Petit Cui, le tireur de pousse qui sera fusillé pour l'exemple dès le premier tome, au répugnant Lang Dongyiang, type-même du collaborateur-né, en passant par Mr Goodrich, le résident anglais qui fait son possible pour aider ses amis chinois, et M. et Mme Li, voisins fidèles en toutes circonstances. ;o)

jeudi, août 5 2010

La Mendiante de Shigatze - Ma Jian

Liangchu nide Shitai Traduction : Isabelle Bijon

Extraits

Ce mince recueil paru chez Actes Sud comporte cinq nouvelles ayant toutes pour thème la civilisation tibétaine, que Ma Jian examine d'un oeil fasciné mais impartial.

La première nouvelle, "La Femme en Bleu", évoque le destin de Mima, jeune Tibétaine morte à dix-sept ans sans avoir pu donner naissance à l'enfant qu'elle attendait. Si bref qu'il ait été, son destin aura été marqué au sceau du tragique : troquée tout enfant contre neuf peaux de mouton, donnée en mariage à deux frères brutaux et alcooliques, elle n'aura connu que de très rares instants de bonheur aux côtés d'un soldat chinois en garnison à Langkatze. Instants volés et tenus secrets que le soldat anonyme, interrogé par le narrateur, considère comme autant de pierres précieuses. La nouvelle s'achève par la vision des vautours s'abattant sur le cadavre qui, selon l'usage, leur est offert, pièce par pièce, par les plus proches parents de la défunte, à savoir ses maris.

Moins intense et plus bref, "Le Sourire du Lac du Col de Dolm" relate le retour parmi les siens d'un jeune Tibétain parti faire des études à la ville. A la fois heureux et gêné de retrouver sa famille si semblable et pourtant si différente, il se remémore son enfance et prend peu à peu conscience que, en dépit de ses racines, beaucoup de choses se sont transformées en lui.

La troisième nouvelle, "Le Chörten d'Or", est une histoire d'adultère entre un apprenti et la femme de son maître. L'époux, maître Sangboutza, a été chargé par un monastère de construire un chörten, c'est-à-dire une sorte de pagode destinée à abriter les cendres d'un saint, et de le recouvrir d'or. Au sommet, une flèche tout en or qui scellera le destin de Koula Djouli, l'épouse adultère et avide.

La quatrième nouvelle, celle qui donne son titre au recueil, est peut-être la plus horrifiante. La pauvreté morale et sociale engendrée par l'ignorance, l'alcool et la tradition y va jusqu'au bout de l'extrême et, une fois de plus, le lecteur constate que le statut de la femme tibétaine est loin d'être enviable même si l'on en parle peu.

"L'Ultime Aspersion" enfin, sur lequel se clôt l'ouvrage, tire à boulets rouges sur certains rites à connotation fortement sexuelle imposés par la religion. Ici aussi, c'est la femme qui en fait les frais, bien évidemment.

On s'étonnera peut-être de découvrir autant de puissance et de violence dans des textes si courts. On s'étonnera plus sûrement de découvrir un Tibet glauque, pétri de traditions sanglantes et arriérées, en totale contradiction avec l'éternel sourire du Dalaï-Lama. Certes, on peut toujours prétendre que Ma Jian est chinois. Mais, vu son parcours, on ne saurait guère le suspecter de propagande envers le régime de la République populaire de Chine. La vision du Tibet qu'il donne ici est bien une vision personnelle et acquise sur le vif, dans un mélange d'étonnement, de dégoût, d'horreur et, répétons-le, de fascination.

Pour vous faire votre avis, lisez ce petit livre mais attention : avec ses passages "bruts de décoffrage", il risque de choquer les âmes sensibles. Quoi qu'il en soit, il ne laissera personne indifférent. ;o)

lundi, août 2 2010

Chronique de la Maison Assassinée - Lúcio Cardoso (Brésil)

Crónica de casa assasinada Traduction : Mário Carelli

Extraits Personnages

Beau et cruel comme un crocodile émergeant des marais brumeux, "Chronique de la Maison Assassinée" a tout de ces plantes singulières et vénéneuses qui poussent dans la jungle amazonienne. Une plante énorme, monstrueuse, s'élançant vers le ciel dans le seul but de faire la peau aux anges, aux bienheureux et à Dieu par dessus le marché, un tronc souple et massif, gorgé de sèves mystérieuses et de sang torturé, prêt à digérer quiconque s'oppose à ses volontés dévastatrices.

Le style de Cardoso est à l'image de sa création : ample, avec des replis curieux et compliqués, une somptuosité rare dans la description du Domaine des Meneses et une virtuosité sans pareille lorsque vient le moment d'analyser les secrets de l'âme humaine, pesée à l'aune d'un catholicisme omniprésent, source de trop d'inhibitions, de trop de tabous et de trop de convenances.

Alambiqué, pourrait-on dire aussi : c'est que, même à un lecteur passionné, il faut beaucoup de temps pour s'immerger intégralement dans cet océan de phrases qui brasse tant d'émotions : amour, haine, passion, désespoir, inceste, mensonge, sexe et absence de sexe, désir, dégoût, homosexualité, rejet, décadence, fascination pour la Mort et ses plus charnelles manifestations.

Il vient même une minute où le lecteur hésite : "Je continue ? J'arrête ? ..." Et puis, soudain, le déclic se fait et l'intrigue prend sa volée. Le livre-plante étend ses lianes et ses feuilles dans toutes les directions, résolu à porter son lecteur jusqu'au bout (et peut-être même au-delà) d'une expérience que, jusqu'ici, il n'a pas encore vécue. Car le roman de Cardoso est absolument hors-normes : ses personnages flirtent longtemps avec le mélodrame avant de se révéler dans une tragédie que les Anciens Grecs auraient appréciée, leurs pensées, leurs émotions s'étalent et serpentent sans retenue dans des paragraphes aussi touffus qu'une jungle baroque et l'ensemble mêle la poésie la plus pure à la sensualité la plus large et la plus outrancière.

Outrancier, oui, serait un mot parfait pour qualifier ce roman atypique et fascinant, qui hypnotise lentement son lecteur sans que celui-ci en prenne conscience à temps. Mais j'écris "serait" parce que, en dépit des doutes que peut concevoir le lecteur au premier tiers de l'ouvrage, l'intrigue imaginée par Cardoso est menée de main de maître. Bien que le traducteur parle dans sa postface de certaines "incohérences", tout - y compris la chute finale - se tient dans "Chronique de la Maison Assassinée."

Un livre étonnant, aussi énigmatique que ses deux héroïnes - Nina et Ana - un livre qui, si vous lui faites confiance jusqu'au bout, ne vous décevra pas. ;o)

mercredi, juillet 28 2010

Le Grand Elysium Hotel - Timothy Findley (Canada)

Famous Last Words Traduction : Bernard Géniès

De Timothy Findley, j'avais lu, il y a une dizaine d'années, un "Chasseur de Têtes" qui m'avait beaucoup marquée par l'art avec lequel son auteur rendait un hommage onirique à Joseph Conrad, et un "Pilgrim" qui, je l'avoue, m'avait laissée plutôt dubitative. Avec "Le Grand Elysium Hotel", je renoue avec mon impression première.

Le roman se fonde sur deux interrogations historiques : 1) Hitler se contenta-t-il d'apparaître au bon moment et au bon endroit ou fut-il le produit, d'ailleurs prévisible, d'une succession de circonstances qui aboutirent au sinistre paroxysme que l'on sait ? 2) Du côté de l'Axe, certains ont-ils songé à faire de l'ex-roi d'Angleterre, Edward VIII, le pivot d'un ordre pan-germanique totalitaire qui succèderait à Hitler et ses sbires lorsque ceux-ci auraient accompli le "sale boulot" ?

Dans un respect absolu de l'Histoire, Findley ressuscite, à travers le récit gravé par son héros sur les murs des chambres de l'Elysium Hotel, dans les Alpes autrichiennes, ce volcan en ébullition que fut l'Europe, du début des années trente jusqu'à la chute du IIIème Reich en 1945.

Le héros, c'est Hugh Mauberley, romancier américain à succès qui, dans les années vingt, se lie d'amitié avec son compatriote, le poète Ezra Pound, ainsi qu'avec celle qui n'est encore que Wallis Spencer et qu'il rencontre à Shanghaï. Deux attirances qui révèlent déjà un peu l'orientation idéologique de Mauberley, orientation que Findley a la sagesse de présenter dans le contexte de l'époque : d'un côté, le triomphe de la révolution bolchevique qui menace de s'étendre à l'Ouest, pour la plus grande méfiance et la plus grande horreur de ceux que les idées communistes ont toujours fait frissonner, et, de l'autre, la réplique conservatrice à ce totalitarisme révolutionnaire : le totalitarisme fascisme, puis national-socialiste.

Fuyant les troupes soviétiques et américaines qui libèrent l'Europe occupée, Mauberley vient se réfugier à l'Elysium Hotel, où il a conservé de bons souvenirs mais où l'attend la Mort. Avant d'être assassiné par une Némésis engendrée par son passé et tout ce qu'il a pu y voir et y entendre, et pressentant peut-être que ses carnets de notes ne lui survivront pas, il prend la précaution de graver l'essentiel de ce qu'il sait sur les murs des quatre chambres qui forment sa "suite." Ceci pour l'édification des deux officiers américains qui découvriront son cadavre : le colonel Freyberg, obsédé par ce qu'il a vu à Dachau, et le lieutenant Quinn, qui était lui aussi à Dachau mais qui, esprit plus complexe, refuse malgré tout de manichéiser les choses et les êtres.

Les phrases de Findley ont la fluidité et la limpidité d'une rivière. Et pourtant, derrière le premier plan qu'elles nous montrent, elles nous laissent deviner un paysage hachuré d'ombres et de brouillards. Sans doute, en l'espèce, le lecteur passionné d'Histoire trouvera-t-il ici plus facilement son compte puisque le romancier canadien met en scène des personnages comme le duc et la duchesse de Windsor, von Ribbentrop, Rudolf Hess, et quelques autres, les reliant à des événements qui se sont réellement passés mais sur lesquels planent encore de nos jours beaucoup de ténèbres (l'assassinat de Sir Harry Oakes aux Bahamas, les projets d'enlèvement du couple Windsor par les nazis, l'étrange départ de Rudolf Hess vers l'Angleterre et la folie dans laquelle il sombra ...).

Cependant, avec "Le Chasseur de Têtes" - que je relirai prochainement - "Le Grand Elysium Hotel" constitue l'une des portes les plus étonnantes et les plus intéressantes pour pénétrer dans l'univers de ce grand romancier que fut Timothy Findley. ;o)

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